- Conversation téléphonique entre le Président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine et le Président de la République du Congo Denis Sassou Nguesso
- Allocution de S.E.M. Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, lors d’une conférence de presse à l’issue des consultations politiques avec les ministres des Affaires étrangères du “trio” de l’Union africaine (Afrique du Sud, Égypte, République Démocratique du Congo) en vidéoconférence
Brazzaville, le 15 juillet 2020
Sur l’initiative de la partie congolaise, S.E.M. Vladimir Poutine s’est entretenu ce lundi 6 juillet 2020 par téléphone avec le Président de la République du Congo S.E.M. Dénis Sassou Nguesso.
Le Président de la République du Congo a félicité S.E.M. Vladimir Poutine pour les résultats du scrutin plébiscitaire sur les amendements à la Constitution de la Fédération de Russie.
Les deux hommes ont échangé des vues sur les questions d’actualité de la coopération russo-congolaise dans le contexte de la mise en œuvre des ententes qui ont été concordés lors de la rencontre des deux présidents en mai 2019 à Moscou.
S.E.M. Vladimir Poutine a souligné que la Fédération de Russie serait prête d’accorder un soutien à la République du Congo dans la lutte contre la propagation de la COVID-19.
Compte tenu de la présidence de la République du Congo au sein du Comité de haut niveau de l’Union Africaine sur la Libye S.E.M. Vladimir Poutine et S.E.M. Dénis Sassou Nguesso ont passé en revue la situation dans ce pays. La nécessité d’une solution pacifique à ce conflit par le dialogue politique avec la participation de toutes les parties libyennes a été soulignée.
Il est convenu de poursuivre les contacts.
Allocution de S.E.M. Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, lors d’une conférence de presse à l’issue des consultations politiques avec les ministres des Affaires étrangères du “trio” de l’Union africaine (Afrique du Sud, Égypte, République Démocratique du Congo) en vidéoconférence
Moscou, 8 juillet 2020
(Extraits)
Chers collègues,
Nous avons organisé aujourd’hui les premières consultations politiques au niveau des ministres des Affaires étrangères de la Fédération de Russie et du “trio” de l’Union africaine. Ce mécanisme a été constitué en conformité avec les décisions du premier sommet Russie-Afrique, qui s’est déroulé à Sotchi en octobre 2019. Trois pays d’Afrique y sont représentés. Il s’agit de l’Égypte, de l’Afrique du Sud et de la République Démocratique du Congo, l’actuel et le future président de l’Union africaine.
La Russie et l’Afrique sont liées par des liens d’amitié traditionnels, un dialogue politique intense, des liens commerciaux et économiques et des plans d’envergure dans tous ces domaines. On a manifesté aujourd’hui notre intérêt partagé pour le renforcement de la coopération dans tous ces secteurs, dont l’économie, les liens humains et les consultations politiques.
Nous avons évoqué l’objectif de développer la coopération au niveau du Secrétariat du Forum de partenariat Russie-Afrique créé auprès du Ministère russe des Affaires étrangères pour établir des contacts quotidiens aussi bien avec les ministères des Affaires étrangères des différents pays d’Afrique qu’avec les mécanismes de l’Union africaine et d’autres structures d’intégration qui existent sur le continent africain. Le Secrétariat sera responsable de nouvelles initiatives pour le prochain sommet Russie-Afrique prévu en 2022 conformément aux accords de Sotchi. Les chefs d’État réunis à Sotchi ont décidé qu’il serait utile d’organiser de tels sommets tous les trois ans.
Nous avons également parlé des besoins énergétiques des pays africains. Ces besoins grandissent rapidement compte tenu du rythme de développement du continent. Nous avons étudié les possibilités de renforcer la sécurité énergétique des Africains, notamment grâce à la coopération avec la Russie dans les domaines des hydrocarbures et de l’énergie nucléaire.
Le mois dernier on a fondé une Association pour la coopération commerciale et économique avec les pays africains. Cette Association comprend de grandes entreprises russes intéressées de coopérer avec le continent africain. L’Association servira de plateforme capable de porter un coup de main aux sociétés russes qui souhaiteraient de travailler dans certains pays africains ou coopérer avec les structures régionales.
Nous avons accordé une attention particulière aux questions sociales en mettant accent sur les problèmes liés à la prolifération du coronavirus. La Fédération de Russie apporte son aide aux pays africains. Nous continuons de recevoir des demandes d’aide supplémentaire. Plus de 30 pays nous ont déjà envoyé de telles requêtes. Nous les traitons avec une attention maximale.
Nous sommes convenus de poursuivre les efforts afin de contribuer à la lutte contre le coronavirus, notamment au niveau des structures multilatérales. Nous contribuerons à la prise de décisions qui intéressent les pays africains dans le cadre de l’ONU, de l’FMI et de la Banque mondiale.
Nous avons souligné en particulier l’intérêt mutuel pour poursuivre la coopération dans l’élaboration de vaccins contre ce genre de menaces pandémiques en profitant notamment de l’expérience de notre coopération (il y a quelques années) dans la lutte contre la fièvre d’Ebola.
Dans le cadre de notre dialogue politique, nous avons accordé une attention particulière au 60e anniversaire de l’adoption de la Déclaration de l’ONU sur l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples coloniaux, célébré cette année. C’est un document historique qui a joué un rôle primordial dans la destruction du système colonial. C’est l’Union soviétique y a joué un rôle crucial. Nous avons souligné la nécessité de préserver la vérité historique. Aujourd’hui, certains collègues occidentaux préfèrent oublier les origines des problèmes de l’Afrique contemporaine. Nous jugeons inadmissible d’oublier cette période, tout comme il est inadmissible de fermer les yeux sur les pratiques néocoloniales actuelles.
Nous sommes d’accord pour dire que la création de l’ONU a joué un rôle décisif pour préparer la décolonisation. L’Organisation mondiale a vu le jour suite à la défaite du nazisme et à la Victoire dans la Seconde Guerre mondiale. Nous notons une corrélation intéressante : ce sont précisément les pays qui tentent de réécrire l’histoire de la Seconde Guerre mondiale qui cherchent à oublier les conséquences du passé colonial pour le continent africain.
Nous sommes également d’accord pour dire que le processus de décolonisation ne peut pas être considéré comme achevé. La résolution de l’Assemblée générale des Nations unies et les décisions de la Cour internationale exigent de terminer ce processus, notamment en ce qui concerne l’archipel des Chagos qui doit réintégrer l’Ile Maurice. Tout comme la souveraineté de Madagascar doit être réinstaurée sur les îles Éparses, et celle des îles Comores sur la Mayotte. Ce sont des possessions françaises qui conservent ce statut malgré les nombreuses décisions de l’Assemblée générale des Nations unies.
Nous considérons qu’il est important de poursuivre les discussions à l’ONU, où fonctionne le Comité spécial de la décolonisation pour mettre en œuvre les décisions de la communauté internationale.
Question: Je voudrais poser une question sur la situation en Libye. A cause des contradictions entre les belligérants dans ce pays, et des différends entre les pays qui soutiennent ces belligérants, la situation en Libye inquiète la communauté internationale. Moscou évoque la nécessité d’un dialogue direct conformément aux résultats de la conférence de Berlin. La Russie a également soutenu l’initiative du Caire : le Ministère russe des Affaires étrangères parle de la nécessité de renforcer le rôle de l’ONU dans le règlement de la situation en Libye. Comment est-il possible de mettre tout cela en pratique alors qu’en réalité rien ne change ?
Sergueï Lavrov: Il n’existe qu’un seul moyen de mettre cela en pratique: cesser immédiatement les activités militaires des deux camps. Malheureusement, le constat de l’absence évidente de solution militaire au conflit libyen n’est pas mis en pratique. A une certaine étape, en janvier 2020, avant la conférence de Berlin, nous avons invité à Moscou les principaux protagonistes : le commandant de l’Armée nationale libyenne (ANL) Khalifa Haftar, le chef du Conseil présidentiel et du Gouvernement d’union nationale Fayez el-Sarraj et le président du Parlement de Tobrouk Aguila Salah. A l’époque l’Armée nationale libyenne pensait avoir des positions plus solides sur le terrain et n’était pas prête à signer le document qui était acceptable pour Fayez el-Sarraj. Aujourd’hui, selon nous, l’ANL est prête à signer un tel document sur le cessez-le-feu immédiat, mais cette fois c’est le gouvernement de Tripoli qui refuse de le faire en préconisant une fois de plus la solution militaire. Voici la raison principale de la situation actuelle.
Avec nos collègues turcs nous mettons au point des approches qui permettraient d’annoncer un cessez-le-feu pour entamer tout de suite le règlement de tous les autres problèmes, qui ont été mentionnés à la conférence de Berlin et réaffirmés dans la “déclaration du Caire”.
Nous avons parlé récemment à Moscou avec Aguila Salah. Nous poursuivons également les contacts avec Fayez el-Sarraj et avec le maréchal Khalifa Haftar. Nous envoyons un signal clair : le premier pas, inaliénable et sans alternative, est l’annonce d’un cessez-le-feu total. Nos collègues turcs travaillent en ce sens avec le Gouvernent d’union nationale. J’espère qu’ils parviendront à obtenir la seule solution juste dans les conditions actuelles.
En ce qui concerne l’ONU, nous voulons que le rôle de l’Organisation soit plus actif. Malheureusement, à ce jour le Secrétaire général Antonio Guterres ne parvient à nommer un remplaçant à Ghassan Salamé. Sa première proposition, quand a été soumise la candidature du Ministre algérien des Affaires étrangères Ramtane Lamamra, a été soutenue pratiquement par tout le monde, sauf par nos collègues américains. Ils ont refusé de soutenir la candidature algérienne. Après quoi Antonio Guterres a proposé une nouvelle candidature, celle de l’ancienne Ministre des Affaires étrangères du Ghana Hanna Tetteh. Il y a presque deux mois. Mais le Secrétaire général de l’ONU ne parvient pas à approuver cette candidature pour une raison qu’on ignore. Nous avons l’impression que des représentants américains cherchent à l’entraver.
Après la démission de Ghassan Salamé, la mission de l’ONU est dirigée par le représentant spécial par intérim. Par un concours de circonstances ce délégué par intérim est une citoyenne américaine. Je ne voudrais pas que les États-Unis “tiennent par les mains” le Secrétariat de l’ONU en empêchant la nomination d’un représentant spécial dans l’espoir que leur compatriote remplisse des tâches que nous ignorons.
J’en parle franchement parce que c’est un secret de Polichinelle. J’espère vraiment que l’attachement aux principes du multilatéralisme prendra le dessus dans cette situation et que le Secrétaire général de l’ONU réalisera à part entière sa responsabilité dans le fonctionnement de ce mécanisme. Je suis certain qu’un représentant de l’Union africaine doit être le candidat pour ce poste.
Question: Que pouvez-vous dire du rapport de la commission de l’ONU qui a assimilé les frappes des avions russes et syriens contre les sites d’infrastructure civile à Idleb à des crimes de guerre?
Sergueï Lavrov: Vous faites probablement allusion à la commission qui se fait appeler commission “indépendante” pour enquêter en Syrie. Cette commission n’a pas été créée par consensus. Son mandat suscite de nombreuses questions, tout comme ses méthodes de travail. La décision de créer cette commission a été imposée avant tout par les pays occidentaux qui cherchent à renverser le régime en Syrie. Ils ne l’ont pas caché. Le vote au Conseil des droits de l’homme de l’ONU a créé un mécanisme avec l’objectif suivant : rechercher des informations compromettantes sur Damas et sur ceux qu’ils considèrent comme les alliés de Damas. La commission ne s’est jamais rendue à Idleb, tout comme bien d’autres structures du secteur non gouvernemental auxquelles l’Occident fait appel pour recueillir des informations compromettantes sur les actions du gouvernement syrien légitime. Cette prétendue commission “indépendante” utilise des informations puisées sur les réseaux sociaux, à partir de sources qu’on demande de garder anonymes pour des raisons de sécurité. Pour nous il-y-a une nécessité absolue de régler et d’analyser toutes les questions qui concernent le conflit syrien uniquement à partir des faits concrets, à partir des informations fournies par une structure compétente. Cette commission “indépendante” ne peut pas répondre de ses déclarations, comme cela a déjà été prouvé plusieurs fois.
Question: Le chef du Pentagone Mark Esper a déclaré que depuis son arrivée à ce poste il y a un an, le Ministère américain de la Défense avait “contenu” avec succès les concurrents de Washington – Moscou et Pékin. Que pouvez-vous dire des propos de Mark Esper?
Sergueï Lavrov: Je ne sais pas ce qu’il y a à commenter ici. S’il estime que la tâche principale du Ministère américain de la Défense consiste à “contenir” la Russie et la Chine, alors c’est la philosophie de l’administration américaine actuelle. Elle est littéralement obsédée par le désir de “contenir” tout le monde sauf elle-même pour éliminer tout ce qui limite sa liberté d’action ou même l’impunité sur la scène internationale. C’est regrettable. Selon une thèse répandue, les militaires sont bien plus prudents que les politiques dans les situations susceptibles de provoquer des conflits.
Cette disposition, cette philosophie du chef du Pentagone suscite évidemment du regret car nous souhaitons le développement d’un dialogue normal avec tous les pays, États-Unis y compris. Les contacts entre Mark Esper et le Ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou par téléphone étaient très professionnels et respectueux. Nous voudrions que chaque pays du monde, dans sa politique sur la scène internationale, ne se fixe pas pour objectif de “contenir” qui que ce soit, mais de garantir la stabilité stratégique sur la base d’un équilibre des intérêts de tous les pays. Même maintenant, dans le dialogue avec les Américains, ces derniers cherchent à ne pas utiliser le terme de “stabilité stratégique” mais à le remplacer par le terme “rivalité stratégique”, autrement dit leur philosophie même indique que les Américains se préparent à des conflits avec tous les pays qui cherchent à défendre leurs intérêts.
C’est nuisible pour les États-Unis eux-mêmes. Peut-être qu’en prétendant que des menaces émanent de la Russie et de la Chine, ils tentent de détourner l’attention de leur population des problèmes frappants que nous observons actuellement aux États-Unis. Cela s’explique peut-être par la période électorale – il faut marquer des points. On ne peut que regretter si cela est fait en supprimant des freins et des contrepoids sur la scène mondiale, en se dépliant les mains pour diverses aventures dans l’espoir d’obtenir des voix supplémentaires. Nous prônons le dialogue et la stabilité stratégique, comme l’a proposé le Président russe Vladimir Poutine, notamment dans le cadre de son initiative d’organiser un sommet des membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies.
Question: Y a-t-il tout de même une chance pour un cessez-le-feu en Libye et pour que les forces du Gouvernement d’union nationale ne franchissent pas la ligne de Syrte et de Jouffa compte tenu des événements d’hier – des frappes ont été rapportées à Jouffa, mais qui n’ont été confirmées par aucun des belligérants?
Sergueï Lavrov: Je ne peux pas chercher à deviner s’il existe une chance pour un cessez-le-feu ou non. Une chance existe toujours, mais il est difficile de dire dans quelle mesure elle sera exploitée. Il y avait également une chance il y a six mois. Tout comme il y a deux, trois et quatre ans après les conférences sur la Libye à Paris, à Palerme et à Abou Dabi. Puis la conférence de Berlin s’est tenue il y a six mois. Précédée par une rencontre à Moscou. Le document était très simple et direct, en une page et demie, où l’accord de cessez-le-feu figurait en premier lieu. Cette chance n’a pas été exploitée par l’un des camps invités à Moscou et à Berlin. Maintenant, l’autre camp ne veut pas profiter de cette chance qui reste encore. Cette chance est une exigence sans alternative qu’il faut réaliser si nous voulons un règlement de cette situation en Libye.
En ce qui concerne la situation militaire sur le terrain, c’est secondaire. Si nous sommes tous d’accord pour dire qu’il n’existe pas de solution militaire, il faut simplement s’arrêter. Ensuite il existe des mécanismes déjà en place : le Comité militaire conjoint 5+5, des propositions fixées dans la Déclaration du Caire, notamment la proposition avancée par le chef de la Chambre des députés de la Libye à Tobrouk Aguila Salah, qui s’est récemment rendu à Moscou. Je fais allusion à la mise en place d’organes réellement équitables et collectifs de pouvoir public au sein desquels seront représentées les trois régions historiques de la Libye en s’appuyant sur un équilibre des intérêts. Je trouve que c’est une proposition parfaitement raisonnable.
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